MIMTI

MIMTI

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Un mois que ton âme pure a rejoint le ciel, et tu restes partout. Partout dans nos pensées, dans nos coeurs, dans nos écrits. Ta voix qui dansait comme des grelots au rythme des histoires d’antan que tu racontais. Les poésies et les litanies que tu chantais pour nous accueillir. Tout cela résonne dans nos oreilles. 

Comment oublier. Ta voix qui nous parvenait depuis l’escalier quand nous arrivions chez toi. Tu venais au devant de nous, toute frêle dans ta tekcheta. Tu disais “je vais préparer une théière” et on entendait le tintement des verres que tu posais sur le plateau. “Prends un gâteau” tu disais, “un baghrir ? S’il te plaît, avec un peu de miel”, comment résister à cette douce insistance? Tous les baghrirs du monde pour toi Mimti. 

On s’asseyait à côté de toi et tu posais ta main sur la nôtre comme pour nous emmener dans le temps. Tes doigts que j’ai toujours vu peints de henné orange, égrenant sans cesse ton chapelet. Et tu racontais. 

Tu racontais ta vie à la campagne, ton enfance à jouer dans les champs. Tu racontais la perte de ta mère, de ton père, puis de tes frères. Tu racontais ta solitude, ton mariage et les sept enfants que tu as eu. Plus jamais seule. Tes amies disaient que même mère d’une tribu de sept, tu restais espiègle. Tu aimais les sucreries, tu faisais des farces, comme les petites filles. 

Salé pour toi était le plus bel endroit sur terre. Tu avais vu l’Europe, les États Unis et la Mecque, mais Salé restait la reine de ton coeur, le centre de ton monde. Ici, tout le monde te connaissait. Tout le monde avait vu cette frêle petite silhouette marcher d’un pas assuré dans les rues. Tu achetais les babioles les plus minuscules aux marchands de rues et tu les rangeais précieusement dans une boîte. Plus c’était petit, plus tu aimais. Des portes monnaies miniatures, des bracelets, des breloques et des bagues. Tu les gardais pour quand nous te rendrions visite. 

“Suis moi” tu disais en nous amenant dans ta chambre. En face du lit, le petit meuble à trois portes où étaient rangées les possessions de toute une vie. Tu faisais tourner la clé dans la serrure et sortait ta petite boîte. “Choisis ce que tu veux” tu disais avec un sourire ingénu. 

Aux prémices de l’aube, à l’heure la plus sombre de la nuit, si un oeil curieux regardait par la fenêtre, il aurait pu voir chaque matin ta silhouette dynamique trottiner vers la mosquée centenaire. Tu y avais ta place attitrée, et nul ne s’avisait de transgresser la règle. 

Au même titre que les vestiges historiques de Salé, tu étais familière à tous, même à ceux qui ne connaissaient pas ton histoire. Pour les démunis du quartier, tu étais un ange gardien, une envoyée du ciel. Tous les vendredis, tu prévoyais le couscous pour ceux qui ne possèdent rien. Peut être te rappelaient-ils ce que c’est que de se sentir abandonné ? 

Comment oublier. Tu nous montrais le petit cahier à carreaux où tu avais écris ton prénom avec application. À l’école pour femmes illettrées, tu prenais les devoirs au sérieux. Tu engageais même tes petites filles pour t’aider ” Si c’est ma petite fille qui le fait, c’est comme si c’était moi” tu disais. 

Illettrée oui, mais sagace, éveillée, perspicace. Toujours astucieuse.Ta mémoire infaillible déroulait le fil des histoires que tu nous transmettais. Des histoires d’un autre temps. 

Comment oublier. Tu nous répétais sans cesse de ne jamais avoir peur, que nous étions dans toutes tes prières. Nous pouvions partir apaisés. 

Tu nous souhaitais la réussite. Toujours cette réussite qui revenait. Celle qui t’avait poussée à te battre pour tes enfants. Qu’importe que tu ne saches ni lire ni écrire, eux auraient une éducation. Ils furent ta plus grande fierté. 

Tu nous as appris la volonté, la droiture. De toujours être fier de là où l’on vient. Tu as créé une famille aux liens soudés. Des enfants et des petits enfants qui te chériront pour toujours. 

Tu aimais chacun d’entre nous pour ce qu’il était. 

Mimti, tu n’es plus là où tu étais mais tu es partout où nous sommes. 

.الله  يرحمك ميمتي

Sawsane